Comment vivre après la perte de son enfant ?

Besma, Justine et Bertrand ont accepté pour nous de revenir sur leur histoire douloureuse. Comment ont-ils réussi à sortir la tête de l’eau après le drame du deuil périnatal ? A travers leurs témoignages, ils livrent ici un beau message d’espoir pour tous les parents endeuillés

Présente-nous ta famille 

Besma : Je m’appelle Besma, je suis mariée depuis 6 ans avec le papa de mes filles. Je suis maman de deux petites filles et bientôt 3. Notre aînée, Mayssa qui veille sur nous depuis le 7 mars 2019, Jihane qui illumine nos journées depuis 3 ans et bientôt une nouvelle petite sœur prévue pour ce mois-ci. Une petite boule de poil nous a rejoint après le décès de Mayssa, un chat nommé Papouille. Il nous a donné beaucoup d’amour quand on en avait besoin.

Justine : Je m’appelle Justine. Je suis en couple avec Simon et nous avons tous les deux 31 ans. Nous sommes parents de 3 filles, entre ciel et terre. Louise 5 ans, Lise 4 ans et Violette 2 ans.

Bertrand : Je m’appelle Bertrand, j’ai 47 ans. Je suis le papa de 4 enfants : 3 à la maison âgés de 11 ans, 8 ans et 6 ans, et un petit ange au ciel, Tom, le deuxième de la fratrie.

Quelle est l’histoire de ton/tes bébés ?

Besma : Mayssa était bien attendue après un an d’essai et une fausse-couche à 8 sa. Elle est décédée in utero à 37 sa à cause d’une maladie rare qui s’appelle l’intervillite chronique hystiocytaire. Cette maladie a provoqué l’inflammation à différents endroits du placenta et l’arrêt des échanges. Un des symptômes chez moi, à ce stade, était le fémur court du bébé (en dessous du 3e percentile). L’autopsie a confirmé que Mayssa n’avait aucune malformation. « Elle était parfaite », ces mots résonneront toujours en moi lors de notre rendez-vous avec ma gynécologue 3 mois après.

J’ai fait une récidive d’intervillite lors de ma deuxième grossesse et grâce à un suivi rapproché Jihane a été sauvée. Elle est née par césarienne d’urgence à 34 + 5 sa.

Pour cette 3e grossesse en cours, je suis suivie encore plus étroitement. Pour l’instant, tout se déroule bien, mais le stress augmente progressivement.

Justine : Nous avons perdu Louise le 19 juin 2018, née à 24 sa suite à une béance du col. Pour Lise, j’avais un suivi strict. Jusqu’à 20 sa mon col était très bien mais il s’est modifié en une semaine. Quand je suis arrivée à l’hôpital, je n’ai pas pu avoir de cerclage car j’avais attrapé une bactérie. J’ai dû accoucher de ma fille le 5 mars 2019 à 21 sa. Elles ont vécu pendant quelques minutes et leurs petits cœurs se sont arrêtés dans nos bras. 

Bertrand : Notre premier enfant était gardé par une assistante maternelle. Avant la naissance de Tom, nous avons su qu’elle n’avait pas assez de place pour le prendre également. Nous avons dû en trouver une autre, non sans mal, pour faire garder les deux en même temps. Tom est né le 7/06/2014 et nous avons signé un contrat avec Béatrice pour commencer à mettre les deux enfants en septembre pour une période d’adaptation. C’est le début du cauchemar. Tom est hospitalisé à plusieurs reprises et décéde quelques semaines plus tard à la suite des maltraitances de sa nourrice. Elle l’a secoué plusieurs fois, occasionnant des séquelles irréversibles. Nous avons dû prendre la décision de le débrancher, car son cerveau s’atrophiait. Le 12 octobre 2014, nous l’accompagnons et le regardons s’éteindre. 

Le procès a eu lieu en octobre 2018. La nourrice a été condamnée à 7 ans de prison ferme et 5 ans d’interdiction d’exercer. 

As-tu été accompagné pour traverser cette épreuve ? (cafés-rencontres, association, site internet, forum, psychologue… )

Besma : Dès le début de mon deuil, j’ai senti un besoin viscéral de trouver d’autres parents endeuillés pour ne pas me sentir seule dans ce chaos sans fond. J’ai ouvert un compte Instagram qui m’a permis de rencontrer rapidement beaucoup de mamans endeuillées. Quelle bouffée d’oxygène, se faire comprendre sans parler quasiment.

J’ai également consulté une psychologue pendant 1 an avec qui je me sentais très en confiance. Elle représentait mon refuge quand mes mots pouvaient être trop durs pour mon entourage. 

Nous avons également rejoint l’association AGAPA avec mon mari, pour participer à des groupes de paroles. Au début, c’était très libérateur, puis, « heureusement », nous avions de moins en moins de choses à partager. C’est un cheminement qui s’est fait. 

Je ne regrette absolument aucune de ces démarches et chacune a été salvatrice sur mon chemin.

Justine : J’ai vu une psychologue pendant 1 an. Ensuite malheureusement il y a eu le covid. 

Bertrand : Malheureusement non. Quand Tom était hospitalisé, l’assistante sociale nous a dit que nous n’avions le droit à rien, car on gagnait trop d’argent. Nous avons tout de même vu une psychologue pour apprendre à gérer notre aîné, car il ne comprenait pas la situation et était très colérique. Il a subi un gros stress pendant l’hospitalisation de Tom. 

Sinon, nous avons appris à gérer ça tout seul au jour le jour. Nous avons la sensation d’avoir survécu plutôt que vécu. 

Au bout de 2 ans, j’ai participé à un café rencontre entre papas.

Pendant 4 ans, j’ai surtout soutenu des gens dans les associations, fait de la prévention… J’ai retardé mon deuil et finalement, je me le suis pris en pleine face au bout de 4 ans et mon état de santé s’est dégradé. 

Comment s’est comporté ton entourage pendant ce moment difficile ?

Besma : Il y a eu deux types de personnes. Celles qui ne supportaient/considéraient pas ma douleur et me suppliaient d’arrêter de pleurer 2 jours après mon accouchement. J’ai eu le droit à des situations rocambolesques comme deux (ex) copines qui m’auraient bien refilé leurs marmots de 3 mois tellement elles étaient fatiguées (oui oui). 

Et il y a eu des personnes qui se sont montrées fortes et prêtes à m’écouter et à décortiquer la complexité de ma douleur. Et ce pendant un an, deux ans… Et aujourd’hui, ces personnes sont toujours présentes, me disent qu’elles pensent à Mayssa. Elles m’ont portée car elles n’ont pas essayé de trouver des solutions. Elles étaient là pour me soutenir et n’ont jamais tenté de prétendre savoir ce que je vivais.

Aujourd’hui, je chéris ces personnes. J’ai mon petit groupe de safe place avec deux mamans endeuillées qui sont devenues de vraies amies. J’ai quelques amies de « ma vie d’avant » qui m’ont laissé ma place de maman entre ciel et terre, sans avoir peur d’être maladroites, et ma sœur et ma mère avec qui je peux prononcer le prénom de ma fille sans craintes.

Justine : Mon entourage a été très présent durant cette période si douloureuse. Mon conjoint a été mon pilier. Il m’a soutenu et aidé à rester debout. 

Bertrand : J’ai souhaité retourner travailler tout de suite après l’enterrement. Nous avons eu beaucoup de soutien de nos familles. 

Combien de temps après la perte de ton enfant as-tu commencé à reprendre goût à la vie ?

Besma : Je dirais que l’envie de poursuivre et l’espoir de l’avenir ont mis du temps à revenir. Je m’enfermais chaque jour dans une spirale de douleur noire. Mais l’espoir du mieux a commencé à réapparaître 4 à 6 mois après, notamment grâce aux projets. Nous avons dû apprendre à intégrer Mayssa dans notre vie, en tant que parents endeuillés. Finalement, avec le recul, chaque arrivée d’un enfant bouleverse la vie des parents. Seulement, c’était un bouleversement auquel nous n’étions pas préparés. Nous avons appris à l’apprivoiser pendant tout ce temps.

Justine : J’ai commencé à reprendre goût à la vie quand je suis tombée enceinte de Violette. J’avais beaucoup d’espoir. J’ai eu un suivi très strict avec mon hôpital, c’est ce qui m’a permis d’y croire vraiment. 

Bertrand : Quand nous avons reçu les résultats de la première expertise 4 à 6 mois après, nous avons été libérés de beaucoup de stress. Elle confirmait ce qui s’était passé chez la nounou et nous étions dédouanés. Malgré les hauts et les bas, j’ai toujours eu la volonté de me battre. On se sent malgré tout toujours seul. Le procès a aidé, mais c’est toujours difficile. Nous avons eu d’autres enfants, mais je ne sais pas si c’est ça qui nous a aidé ou pas. 

Quel a été le premier signe qui t’a donné l’impression de voir le bout du tunnel ?

Besma : ça peut paraître anodin, mais les premières fois où j’ai remis du mascara. Ce signe montrait que je me sentais capable de passer une journée sans pleurer, ou de prendre sur moi si besoin.

Après, il y a eu la reprise du travail qui m’a obligatoirement ancré dans le présent. Qui dit présent, dit avenir… j’ai changé de travail 5 mois après et j’ai intégré une entreprise qui ne savait rien de mon histoire. ça a également été très libérateur pour moi.

Justine : Quand j’ai vu à chaque contrôle de ma grossesse pour Violette que mon col était long et ne bougeait pas grâce au cerclage, j’étais sereine et j’ai vu la lumière au bout du tunnel. Enfin, c’était la fin de l’enfer. 

Bertrand : Je n’ai pas le souvenir d’avoir eu un signe particulier. Nous avons longtemps traversé la phase de « où est-ce qu’on va ? ». 

Nous allons de mieux en mieux, c’est progressif, même si c’est toujours difficile avec des dates compliquées à vivre.

As-tu une phrase, une citation, qui t’aide au quotidien ?

Besma : « Aussi longue que soit une nuit d’hiver, le soleil suit » (proverbe touareg).

Quand je pense que je me suis relevée après avoir mis au monde ma première fille décédée dans mon ventre, je me dis qu’il y a peu de choses que je ne me sentirais pas capable de faire. 

Justine : Ma citation favorite est « tu n’es plus là où tu étais, mais tu es partout là où je suis » parce que je fais vivre Louise et Lise à travers moi.

Bertrand : Avant, je disais « il y a toujours une solution », mais je n’ai pas trouvé la solution pour sauver Tom. Aujourd’hui, c’est « rien n’est impossible ». C’est compliqué, c’est difficile, mais on peut y arriver. C’est ce qui m’a permis de m’en sortir et de faire face aux difficultés.

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Comment ce deuil t’a fait évoluer en tant que femme/homme ?

Besma : Ce deuil a modifié mon attitude face à l’inquiétude. Aujourd’hui, hormis la santé de mes proches, il y a peu de choses qui peuvent me stresser. L’échelle de gravité est modifiée à jamais. Depuis la naissance de ma deuxième fille, il n’y a pas un jour où je n’ai pas été reconnaissante de l’avoir près de moi. 

Justine : Cette épreuve m’a endurcie. Je suis devenue une « vraie femme » et plus une jeune femme. Perdre un enfant, peu importe son âge, est la chose la plus terrible. 

Bertrand : Je ne supporte plus l’injustice et suis devenu très empathique. Je n’accepte plus de voir le mal fait aux autres.

Je suis également devenu plus égoïste. Je vis ma vie et je fonce. 

As-tu créé, fait quelque chose de cette épreuve ?

Besma : J’ai été attentive aux nouvelles mamans endeuillées qui étaient perdues pour les aider en discutant avec elles sur les réseaux. J’ai créé des rendez-vous physiques avec des mamans rencontrées sur Instagram qui traversent elles aussi le deuil périnatal, des instants remplis de vie et de rire, de beaux moments de partage.

Justine : J’ai créé mon compte Instagram @Louise_moncombat_Lise_mavie pour parler du deuil périnatal et faire vivre mes filles. Pour que personne ne les oublie, c’est mon combat de tous les jours.

Bertrand : Je fais beaucoup de prévention. Vous pouvez retrouver toutes les informations utiles sur le syndrome du bébé secoué sur mon site. J’ai écrit deux livres. « La rentrée de Tom bébé secoué » qui parle de handicap, d’espoir et d’acceptation de handicap. Et « Mon étoile filante », qui traite du deuil périnatal vu par un petit garçon qui a perdu sa petite sœur. On y retrouve les étapes clé du deuil et un message d’espoir.

J’ai aussi rejoint des associations pour faire bouger les choses. J’ai également le projet d’en créer une, pour que l’horreur qu’à vécu mon fils ne serve pas à rien.

Que dirais-tu à la femme/homme que tu étais au moment de la perte de ton bébé ?

Besma : Tu ne le vois pas, tu n’y croiras pas, mais tu arriveras à dompter cette douleur qui se fera bien plus petite et discrète qu’elle n’est aujourd’hui. Tiens bon, tu as les ressources en toi. 

Justine : Ce n’est pas facile tous les jours, mais on s’en sort. On y arrive et le futur réserve de belles surprises. 

Bertrand : Bagarre toi, ne lâche rien et crois en toi. 

Que pourrais-tu dire à une personne qui traverse actuellement le deuil périnatal ?

Besma : Tout ce que tu ressens est légitime. Ne t’excuse pas de supporter cette douleur qui t’a été imposée. Tu n’as pas choisi de souffrir. Ne t’inflige aucune épreuve que tu ne te sens pas de supporter. Je pense notamment aux copines enceintes… Savoir se protéger, prendre soin de soi physiquement et psychiquement et s’entourer est essentiel pour pouvoir se relever. Courage, tu vas y arriver. 

Justine : On n’oublie pas son passé, on apprend à vivre avec. Aujourd’hui, je peux le dire, je suis heureuse, incomplète mais heureuse. 

Bertrand : C’est l’enfer, mais il y a toujours une sortie au bout du tunnel. Il ne faut rien lâcher, vivre et accepter ses émotions. On peut s’en sortir, donner du sens à sa vie, avoir un autre enfant. Accepter que la vie d’avant ne sera plus la même et construire sa nouvelle vie pour avancer. Rien n’est impossible, il faut croire en soi. Après la pluie vient le beau temps.

-> Découvrez tous les témoignages sur le blog de Baby Hope 

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